
La culture ojibwée
« Nous, chrétiens, considérons la loi d’aimer son prochain et l’insistance de la charité comme l’aspect le plus fondamental de notre morale et comme ce qui la distingue de tous les autres dogmes religieux. »
Dans un certain sens, et dans une certaine mesure, cela peut être vrai ; mais nous devons faire attention à ne pas nous enorgueillir outre mesure et à ne pas nier la bonté naturelle du reste de l'humanité.
La charité et la générosité envers les biens donnés par Dieu, ainsi que la noble hospitalité, sont louées comme des vertus primordiales chez les nations non chrétiennes, tout comme chez nous. Chez les Indiens, cette valeur est si forte qu'elle constitue l'un des principaux obstacles à leur conversion.
-Johann Georg Kohl, Kitchi Gami
Les valeurs de la communauté ojibwée
La communauté ojibwée s'étendait de l'est des États-Unis jusqu'au lac Supérieur, situé dans le centre-nord du pays. Malgré la diversité des dialectes, un lien fort unissait l'ensemble du groupe, quelles que soient les distances qui les séparaient. Ce sens de la communauté tissait des liens entre les familles, les voisins et tous les membres de la nation ojibwée. La culture ojibwée reposait sur plusieurs valeurs :
1) Le principe d'honnêteté
Les récits, les histoires et les paroles devaient être honnêtes. Si quelqu'un se présentait devant le groupe et racontait une histoire fausse, le groupe avait le pouvoir de le corriger pour rétablir la vérité. Le vol et le larcin étaient considérés comme des crimes passibles d'ostracisme, et le nom de la personne coupable restait à jamais associé à son méfait, l'obligeant à rendre des comptes à la communauté.
2) La concurrence au bénéfice de tous
Le peuple Ojibwé aspirait à l'excellence dans tout ce qu'il entreprenait. La compétition était valorisée, mais elle reposait sur l'intérêt de la communauté tout entière. Être le meilleur chasseur signifiait avoir le plus à offrir à la communauté. Les plus habiles et les plus talentueux contribuaient le plus et étaient, de ce fait, les plus reconnus. Réprimer ses talents ne pouvait qu'engendrer des problèmes pour tous.
3) Chercher à suivre Dieu
Dans la culture ojibwée, les prières n'étaient pas de simples prières ; elles étaient récitées tout au long de la journée et la présence divine était omniprésente. Leur plus grand désir était de savoir comment Dieu leur parlait personnellement et de lui consacrer leur vie. Kohl l'évoque dans ses écrits : « Avait-on jamais su, parmi nous autres Européens, que des garçons ou des filles étaient capables, dès leur plus jeune âge, de jeûner pendant des jours pour une cause supérieure… et de fixer leur esprit exclusivement sur des choses célestes ? » Ils s'efforçaient de vivre selon le principe « que ta volonté soit faite », cherchant à discerner la volonté de Dieu dans toutes leurs entreprises.
4) Offrir les prémices selon la tradition
Lorsqu'un chasseur abattait un cerf, il nourrissait d'abord sa communauté, puis sa famille, et enfin lui-même. Chacun contribuait ainsi à ce rituel : la communauté, puis la famille, et enfin soi-même. La gratitude envers la nature était au cœur de ces pratiques, et une prière d'action de grâce était récitée pour la vie de toute créature abattue. Cette gratitude s'exprimait aussi bien envers les plantes qu'envers les animaux, car leur vie était considérée comme un sacrifice et tous étaient honorés de cette manière. On exprimait également sa gratitude envers les ancêtres en confectionnant des plats sacrés pour honorer ceux qui étaient décédés et dont on sollicitait encore l'aide. La sagesse et les conseils des aînés étaient respectés, et servir les plus anciens de la communauté était considéré comme un privilège.
5) Honorer les aînés
En OJibwe, le mot pour désigner une personne âgée est « Kitchi aiaa ». « Kitchi » signifie grand, noble ou puissant, et « Aiaa » signifie personne ou être. Les aînés de la communauté étaient soignés et accompagnés lors des rassemblements. Leur peau marquée par l'âge était un signe de sagesse et ils étaient très respectés pour cela. Les aînés aidaient également les jeunes générations lors de leurs différentes cérémonies. Forts de leur expérience, ils savaient comment les accompagner et les soutenir dans leurs quêtes. Leur sagesse était précieuse et honorée.
Kije Manito : Dieu
Le père Baraga a utilisé le mot ojibwé pour désigner Dieu dans tous ses écrits. Ce mot, tel qu'il le concevait, est Kije Manito. Kije signifie « grand » en ojibwé et Manito signifie « esprit ». Kije Manito était un être omniprésent, présent en toute chose. C'est lui qui a conduit le peuple ojibwé vers la région de « Kichi Gami », autre nom du lac Supérieur, également appelé « Grand Lac ». Ainsi, il établissait un lien avec les Ojibwés, leur permettant de comprendre le Dieu catholique en utilisant le même mot pour désigner leur propre divinité.

Lorsque le père Baraga découvrit la culture ojibwée, il fut confronté à un monde radicalement différent de la culture européenne. Il devait alors non seulement apprendre la langue, mais aussi comprendre le fonctionnement de cette culture afin de savoir à qui s'adresser pour obtenir certaines choses. Dès son arrivée à Arbre Crochet, près de l'île aux Castors, il comprit que pour se faire entendre, il fallait passer par la voix du village. Il consacra donc sa première journée à parler aux villageois, puis convoqua un conseil le lendemain afin que tout le village puisse l'entendre.
Peinture d'autochtones ojibwés en canoë par Eastman Johnson. Vers 1856
Prise de décision
Lors de leur première rencontre avec la culture ojibwée, les Français eurent du mal à trouver des solutions et à développer le commerce. La culture européenne, patriarcale et hiérarchisée, plaçait l'homme au centre des décisions, notamment à cette époque. Cela se reflétait dans le fonctionnement du gouvernement, où seuls les hommes votaient et élisaient des représentants masculins. Les femmes et les minorités n'avaient aucune influence. La culture ojibwée, quant à elle, était décentralisée dans sa prise de décision.
Dans la culture ojibwée, ce sont les femmes aînées (souvent appelées les grands-mères) qui prenaient les décisions. Le chef était élu par les femmes, qui avaient également le pouvoir de destituer un chef qui ne respectait pas les normes établies dans l'intérêt de la communauté. Le chef était le porte-parole du peuple, exprimant ce que la communauté souhaitait lui confier. Des conseils furent créés afin que les avis de chacun soient pris en compte dans toute décision. C'est pourquoi les Français avaient des difficultés à prendre des décisions : le chef n'était pas là pour décider au nom de la communauté et lui annoncer la décision, mais plutôt pour être son porte-parole.

Chef Buffalo de La Pointe
De plus, la culture ojibwée était matriarcale. L'ordre établi se transmettait de génération en génération par les femmes. À la naissance, l'enfant appartenait au clan de sa mère. Les mères étaient les principales décisionnaires au sein de la famille. Dans la culture ojibwée, les femmes prenaient soin du foyer et de la famille, tandis que les hommes partaient en guerre pour protéger la famille et le territoire. Les femmes se réunissaient souvent en conseil pour participer aux décisions concernant la communauté et leurs familles. Cela contribuait également à renforcer les liens familiaux, car les hommes n'avaient pas le dernier mot sur ce qui se passait au sein du foyer. La voix des femmes était essentielle et pertinente. Ainsi, hommes et femmes avançaient ensemble, sans qu'aucun ne prenne l'ascendant.
Les Totems/Dodems du Clan
Les clans, ou dodems, constituaient un mode de vie essentiel pour le peuple Ojibwé. Le mot même pour dodam signifie « je fais » ou « je m’engage ». Ces engagements étaient au cœur de leur identité et ont façonné leur mode de vie et leur rapport au monde.
Le système clanique était divisé en rôles spécifiques qu'une personne assumait au sein de la communauté. Dans la culture ojibwée, il existait sept clans principaux : la grue, le huard, le poisson, l'ours, la martre, l'oiseau et le cerf. Ils sont décrits ci-dessous :
Grue : Les chefs
Plongeon : Les dirigeants
Poissons : Les régulateurs, les médiateurs
Ours : Les guérisseurs, les agents de la paix
Marten : Les guerriers étaient chargés de protéger le peuple
Bird : Les gens spirituels, ils étaient comme les prophètes de la communauté
Cerfs : Les poètes et les artisans de paix, doux et bienveillants par nature.
Ces systèmes claniques étaient également appelés « doodem », d'où provient le nom « totem ». Le chef Buffalo, avec qui travaillait le père Baraga, appartenait au clan du Plongeon huard.

Tableau de référence du système clanique
Lorsqu'on se salue à l'européenne, on se contente de dire le nom. Si l'on souhaite mieux connaître quelqu'un, on mentionne traditionnellement son nom de famille, indiquant ainsi son ascendance. Dans la culture ojibwée, une personne est connue par son nom (souvent appelé nom de médecine), son clan et son lieu d'origine. De cette façon, la personne saluée peut identifier l'individu, comprendre son lien avec la communauté et sa région d'origine. Cela facilitait les échanges au sein de la communauté, notamment avec les autres Ojibwés des régions commerciales des Grands Lacs. Ainsi, on n'était jamais un étranger, mais plutôt une personne envoyée d'un village éloigné pour transmettre un message ou récupérer quelque chose de nécessaire. Grâce à cette présentation, on était connu et identifié facilement, et celui qui saluait savait comment interagir avec la personne en face de lui.
Connexions avec la Terre
Le peuple Ojibwé entretenait un lien profond avec la terre. Le père Baraga les appelait souvent « les enfants de la nature » lorsqu'il les décrivait aux Européens. Les Ojibwés connaissaient les cycles et les rythmes de la terre. Ils récoltaient le riz sauvage chaque année et savaient précisément à quel moment. Chasseurs-cueilleurs, ils migraient parfois vers le sud pendant l'hiver pour survivre aux rigueurs du nord. La région qu'ils habitaient n'offrait pas de terres fertiles, la chasse et la cueillette étaient donc leur principal moyen de subsistance. Ils utilisaient également régulièrement des plantes médicinales. Pour les Ojibwés, à chaque mal correspondait un remède.
Durant l'été, ils vivaient dans des wigwams ou des tipis, abritant un petit nombre de personnes. Ces wigwams étaient trop petits pour permettre d'entretenir le feu et de répondre aux besoins des familles durant l'hiver. Toutes les structures étaient recouvertes d'écorce de bouleau, car ce matériau offrait la meilleure imperméabilité. C'est d'ailleurs pourquoi les Ojibwés utilisaient des canoës en écorce de bouleau. Le bouleau était également utile pour allumer des feux en toutes saisons ; savoir les maîtriser était donc essentiel pour éviter qu'ils ne consument l'habitation, tout en étant suffisamment importants pour maintenir la chaleur des occupants.

Commerce
Femme dans un wigwam vers 1870
Le commerce était alors une spécialité des Ojibwés. La pierre rouge extraite de la carrière de Pipestone, au Minnesota, était utilisée jusqu'au Québec. Les peaux de bison étaient extrêmement précieuses à cette époque, servant principalement de couvertures et de protection contre le froid. Les Ojibwés collaboraient avec les Dakotas et se réunissaient fréquemment avec des représentants de diverses tribus de différentes régions afin de conclure des échanges profitables à la famille et à la tribu. En ces temps de commerce, les armes étaient déposées pour le bien commun. Des lieux comme Pipestone, où se trouvaient les carrières, étaient réputés pour leur paix et l'absence de conflits.
Il existait un langage des signes commun aux populations autochtones, qui leur permettait de voyager dans des contrées lointaines sans connaître la langue locale, mais de communiquer grâce à ce langage. Ce langage était facile à comprendre et permettait à ces voyageurs de dire d'où ils venaient, où ils allaient, comment ils voyageaient, combien de jours ils restaient à parcourir, etc.

Avec l'arrivée des Français, la culture ojibwée commença à évoluer. Les fourrures devinrent une marchandise d'échange contre les articles introduits par les Européens. C'est à cette époque que le perlage et le travail du tissu firent leur apparition chez les Ojibwés. Le perlage devint rapidement un art qui ornait leurs robes et leurs mocassins, au même titre que le quilling (travail artisanal à partir de piquants de porc-épic) autrefois. Les motifs floraux étaient courants chez les Ojibwés. Le quilling devint alors un art secondaire par rapport au perlage. De plus, le tissu fit son apparition et commença à remplacer les peaux traditionnellement utilisées pour se vêtir. Les Ojibwés se mirent alors à rechercher des fourrures pour alimenter ce commerce, donnant ainsi naissance à l'industrie de la fourrure.
Techniques et motifs de perlage Ojibwés
évolutions culturelles au fil du temps
L'industrie du commerce des fourrures a également transformé la culture avec l'introduction des trappeurs. Rapidement, il devint courant et avantageux pour les trappeurs d'épouser des Ojibwés, et vice-versa. Ainsi naquirent des enfants métis, d'ascendance ojibwée et européenne. Lorsque la loi sur la déportation des Indiens fut promulguée en 1830, le pouvoir manifeste de déplacer tous les autochtones eut un impact considérable. La question de savoir qui devait être déplacé se posa et des séparations familiales dues à ces liens apparurent. Les personnes d'ascendance mixte étaient appelées « Métis » par la communauté ojibwée. Leur métissage ne les dévalorisait pas ; au contraire, ils étaient reconnus comme des membres importants de la communauté grâce à leurs liens interculturels.
De plus, la loi de déportation de 1830 a exercé une pression supplémentaire sur le peuple Ojibwé pour qu'il réforme ses pratiques afin d'être perçu comme civilisé par le gouvernement américain. Les deux principales conditions imposées par ce dernier étaient la capacité des autochtones à cultiver la terre et leur christianisation. S'ils parvenaient à satisfaire à ces deux exigences, leurs chances de survie et, potentiellement, d'échapper à la déportation étaient accrues. Par ailleurs, la foi catholique s'est bien intégrée à la foi autochtone. Les pratiques et coutumes catholiques semblaient s'y adapter plus facilement que celles d'autres religions. La fumée de l'encensoir était similaire à leur pratique de purification par la sauge. La confection de liens de prière (apparue après l'introduction du tissu) semblait comparable à la récitation du chapelet.
